A propos d' "Une Histoire Du Jeu Video en France", d'Alexis Blanchet et Guillaume Montagnon
Dans ce livre paru récemment aux éditions Pix’n Love, Alexis Blanchet et Guillaume Montagnon s’attardent sur l’histoire du jeu vidéo en France, des années 60, lorsque le jeu vidéo n’était qu’un vague prétexte à des recherches sur l’IA en laboratoire, jusqu’au début des années 90, à l’aube de sa maturité.
En choisissant de raconter l’histoire du jeu vidéo à travers un tout petit marché au sein d’un tout petit territoire, les auteurs touchent à la réalité qu’était de fabriquer, créer ou vendre du jeu vidéo dans les années 70 et 80, que n’aurait pas touché un auteur décrivant l’histoire du jeu vidéo aux Etats-Unis ou au Japon, où les premières grandes sociétés et stars du milieu sont arrivés trop vite, réléguant les hobbyistes dans l’ombre.
Parce qu’elle n’a jamais été étouffée par son propre story-telling, l’histoire française du jeu vidéo, telle que racontée ici, dégage une chaleur, un enthousiasme, susceptibles d’intéresser bien au-delà du joueur qui a connu le jeu vidéo de ces années-là et qui a passé des heures sur des jeux Loriciel, Infogrames ou Cryo. Elle peut à mon avis émouvoir celui qui s’intéresse de manière plus large aux développement des contre-cultures, au comment nous sommes passés d’un monde dominé par les géants de l’automatique des années 50 où le jeu vidéo n’était qu’un meuble (“Hé Roger, tu veux que je t’installe le AfterBurner dans ton rade ?") à celui, où, sans aller jusqu’à parler d’art, on reconnait son potentiel créatif. A ce titre, j’ai trouvé le parcours de Philippe Ulrich vraiment intéressant : d’abord compositeur de musique électronique, il commence à s’intéresser à l’informatique et au jeu vidéo sur le tard, bidouille ses premiers jeux tout seul, puis crée ERE Informatique, où il développera certains des jeux les plus fascinants de cette époque, tels que “L’Arche du Captain Blood” (une sorte de “No Man’s Sky” avec 30 ans d’avance), et enfin Cryo (dont le “Versailles” est bien connu de tous les collégiens des années 90), avant d’arrêter totalement le jeu vidéo pour revenir à son premier amour, la musique.
Si Ulrich a au moins pu jouir d’une belle carrière dans le jeu vidéo, j’ai noté beaucoup de trajectoires beaucoup plus brèves, d’hommes ou femmes ayant pris part à cette révolution naissante sans réellement en prendre conscience, presque par hasard. Il y a par exemple le cas de Valadon Automation, à l’origine du premier jeu vidéo d’arcade français, “Le bagnard”. Basée à Châlons-sur-Saone, Valadon Automation produisait à l’origine des systèmes électroniques pour de grands groupes de cette région alors très industrielle. La société s’est ensuite tournée vers le jeu vidéo par opportunité, pour répondre à la forte demande de bornes d’arcade dans les cafés. Si au départ il ne s’agissait que de copier des jeux existants (le plagiat étant alors largement répandu), Valadon a donc fini par développer son propre jeu. Les ingénieurs ont appris la création de jeu vidéo sur le tas, en s’inspirant de recettes existantes et en rétro-ingéniérant des jeux concurrents, mais ils ont également fait preuve d’innovation, en faisant du jeu l’un des premiers à bénéficier de voix françaises digitalisées. “Le bagnard” fut un succès en France et se vendit même aux Etats-Unis et au Japon. La société développa par la suite quelques autres jeux puis, en 1985, arrêta brutalement le jeu vidéo pour retourner vers l’électronique industrielle.
C’est un choix difficile à comprendre aujourd’hui. Quelle société ferait ça, et surtout, quels employés accepteraient un tel revirement de situation sans broncher ? Il y a aussi les exemples de ces jeux vidéo créés par des non-informaticiens, qui firent un ou deux jeux avant de revenir à leur premier emploi (comme Gilles Blancon, gendarme à Saint-Etienne et créateur “L’affaire Vera Cruz”, un jeu Amstrad qui m’avait alors marqué et que je fus heureux de voir évoqué ici). Ou les créateurs de boutiques, qui ont joué un grand rôle dans l’essor du jeu vidéo en favorisant les rencontres et échanges entre passionnés, qui y ont consacré quelques années avant de basculer totalement vers autre chose. J’ai fait quelques recherches sur plusieurs noms cités dans le livre, et fut étonné de voir que ces expériences, pourtant si belles, ne sont presque jamais mises en avant par leurs auteurs. Ce sont des accidents de parcours, certes heureux, mais en rien significatifs dans leur carrière et leur vie. Je me demande comment ils voient cette période, rétrospectivement. Sont-ils conscients d’avoir été à une avant-garde et d’avoir eu un impact sur quelques joueurs devenus de vrais développeurs de jeu vidéo quelques années plus tard ? Peut-on appliquer à certains de ces jeux la fameuse phrase à propos de l’album “The Velvet Underground & Nico”, “Seulement 1000 personnes ont acheté ce disque, mais toutes ont créé un groupe par la suite” ?
“Une histoire du jeu vidéo en France” fourmille de ce type d’anecdotes, qui rendront nostalgiques les lecteurs ayant pris part à cette aventure, mais qui pour ma part m’ont plutôt donné envie de continuer à créer et explorer les marges.
Vivement le second tome ! (qui sera en partie dédié au développement de la presse du jeu vidéo - en France, bien sûr)
Une histoire du jeu vidéo en France - 1960-1991 : des labos aux chambres d’ados., par Alexis Blanchet et Guillaume Montagnon, avec la participation de Sébastien Genvo. Préface de Mathieu Triclot.
Aux éditions Pix’n Love.
https://www.editionspixnlove.com/accueil/889-une-histoire-du-jeu-video-en-france.html